Aldárik Sigyn-Forseti

« L'avant-garde se replie, Lanciers, armes au clair ! »

    Aldárik s'exécuta et pencha sa lance en avant, prête à recevoir les flancs du monstre en subsistance. À ses côtés, une cinquantaine de frères d'arme faisaient de même, le visage sérieux et le regard ardent, prêts à en découdre avec l'ennemi. Leur cœur d'ondin battaient le rythme régulier de la guerre, intimé par le cor marin où le chef d'escadron souffla la retraite de l'avant-garde. Habitué des combats, il se sentait pourtant... nauséeux. La peur ? Non, c'était là tout autre chose. Et qui s'accompagnait d'un début de migraine. Je ne suis pas malade quand même...? Il choisit de ne plus y prêter attention, la situation nécessitant son entière concentration.

    Afin de reprendre ses esprits, il s'autorisa à fermer un bref instant ses yeux, Aldárik prêta attention au courant marin. Comme la plupart des Ondins, ce dernier n'avait guère de secret pour lui : il était possible de deviner les mouvements de l'eau et donc la présence d'autrui, avec souvent bien plus de certitude que la vue...
    Et à ce moment précis, il distinguait au devant de leur garde le repli rapide des ondins chargés de fatiguer l'immense bête derrière eux. Il fronça les sourcils. Voilà qui était inhabituel... Jamais il n'avait été capable de percevoir avec autant de détails les présences... Tout juste dû-t-il savoir que quelque chose se mouvait devant lui. Mais là, Aldárik pouvait distinguer le Léviathan des ondins, voire celle de la flore marine progressivement...
    Cette perception affinée était sans doute due à l’adrénaline du combat, se convainquit-il. Assurément. Autant d'étrangetés à ignorer au même titre que cette satanée migraine qui s'intensifiait.
    Soudain, les pensées du lancier revinrent à l'instant présent.
    Il croyait sentir dans le flux de l'eau le goût si familier du sang... Son voisin confirma :

«J'espère que les pertes sont moindres, Alda...
- Nous n'avons guère le temps de nous inquiéter pour l'avant-garde, l'ami. Léviathan arrive. »

    La lumière du soleil fut pendant de longues secondes voilée par l'imposante masse de chair du monstre marin, venant telle une déité des océans. Mais malgré cette obscurité partielle, les yeux de l'ondin rencontrèrent le regard obsidienne de la bête qu'il cherchait inconsciemment à croiser, éclairé par quelque lumière naissante, forte et localisée... Au moment où cette lueur était née, le hurlement strident du Léviathan vint résonner dans l'eau environnante, un cri de douleur ? Aldárik n'eut le temps d'y réfléchir tant son mal de tête devenait difficile à supporter.

«Content de t'avoir connu, lâcha Aldárik en grimaçant de douleur, pris d'une soudaine inspiration, inexplicable.
- Ne dis pas ça... Mais que t'arrive-t-il ?»

    Et ce fut sur ces mots que la tempête survint, ravageant les premières lignes de lanciers. Cinq minutes au plus furent nécessaires au Léviathan pour balayer la moitié de l'arrière garde, avant que le reste ne puisse enfin planter les premiers tridents et lances dans son corps et provoquer sa fuite.
   Aldárik se souvenait, au milieu de ce déchaînement de colère et de violence alors que le monstre lui face, ses crocs dévoilés où l'écarlate se disputait à l'ivoire, avoir eu cette pensée : "J'aimerai tant être autre part. Dans un endroit calme, où les Léviathan n'existent pas. Un lieu animé de vie..." Et avant qu'il ne le réalise, à peine eut-il senti la migraine disparaître, l'ondin venait de quitter le champ de bataille, sombrant dans une inconscience bienvenue.
    Son Étincelle venait faire ses œuvres.