L'appel d'une reine [Nah']



 
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 L'appel d'une reine [Nah']

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Desdemone

Desdemone


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MessageSujet: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeMar 3 Déc - 20:13

Desdemone porta la fleur à ses narines, et inspira son parfum, lentement, s’en délectant.

Quel étrange univers.

Ici tout poussait. Partout les champs à pertes de vue. C’était un peu comme la mer, avec des vagues de vent d’autres couleurs, mais elle était si peu habituée à la terre. Dans un monde où l’on s’entredéchire, mieux vaut rester en terrain connu – sous l’eau, les ondins avaient au moins un léger avantage. Elle avait appris beaucoup dans l’Entre-Monde ; mais c’était encore différent que de se promener ici. Laissant la fleur entre l’une de ses tentacules, elle plongea dans la rivière, et commença à en remonter le cours. L’eau été agréable.

Lorsqu’elle sortit à nouveau la tête à l’air libre, près d’un village, ce sont des impressions toutes différentes qui s’imprimèrent au travers de ses sens.

« Fermez tous les volets ! Bouclez les portes ! Plus personne dehors ! Laissez les champs, c’est trop tard pour les protéger ! »

Danger.

Ca pulsait danger de partout. Les cris, la course. Et ça, elle connaissait. Desdemone resta dans l’eau, seul endroit où elle pouvait se sentir un minimum en sécurité, les yeux au-dessus de la surface, et attendit.

Silence.

Plus un bruit, plus un être en vue.

Silence.

Bourdonnement. Léger. Puis de plus en plus fort.

Le nuage s’approchait en même temps que le grondement du tonnerre. Un nuage étrange – beaucoup trop bas. C’est seulement lorsque les insectes furent sur elle qu’elle comprit. Instinctivement, elle se concentra sur le mana noir environnant. Son pouvoir flottait sur sa peau, avide – et fut rapidement rassasié. Quelle étrange sensation que d’aspirer la vie de tant de créatures en même temps – comme de petits chocs de vie, chocs d’énergie, des chatouilles, un peu. Plutôt que de recevoir une vague pour répondre à sa fatigue, venant d’une seule créature, c’étaient de minuscules doses, mais si nombreuses, qui l’atteignaient de partout. Toutes les sauterelles qui s’écrasaient sur sa peau tombaient comme des mouches, mortes dans les secondes qui suivaient.

Elle sortit de l’eau, pour se baigner dans les sauterelles, et disparut dans leur nuage.

Les sauterelles restaient en groupes, et filaient vers les champs pour se nourrir des céréales ; il lui suffisait d’entrer dans le champ, de faire glisser ses doigts sur les épis, et les bestioles passaient en mouvement vertical, jusqu’au sol où elles s’écrasaient.

C’était absolument jouissif.

Son pouvoir, décuplé, lui donnait une sensation de bien-être qu’elle n’avait jamais atteint auparavant… Etre Arpenteur était une telle… bénédiction…

Le craquèlement des insectes, sous les pas des humains qui, curieux du silence, étaient sortis et s’approchaient d’elle, réussit à peine à la sortir de la transe dans laquelle elle était tombée. Ses yeux, translucides, les traversèrent.

« C’est… C’est un miracle ! »
«  Les récoltes sont sauvées ! »
« Comment est-ce possible ? Qui est-elle ? »

Ca marmonnait.


*


- Approche, mon petit…

Assise sur la rive, les mollets dans l’eau, Desdemone fit gracieusement signe à l’enfant qui lui avait été offert. Il s’approcha, docile, et tendit les mains, fébrile à l’idée du toucher divin qui l’attendait. Ils étaient tous comme ça – tellement pressés de la servir, Elle, leur Déesse, leur Méduse, leur Sauveuse. Elle les avait sauvés sans le vouloir de la famine, et après les offrandes de céréales dont elle ne savait que faire – bien qu’elle se souvienne vaguement avoir lu que les Marchands en recherchaient, et qu’elle pourrait facilement s’en débarrasser dans l’Entre-Monde -, c’étaient les esclaves qui avaient suivis. Et ils imaginaient tous que c’était un honneur que de servir la Déesse… Alors elle aspirait. Jamais beaucoup, juste assez pour les fatiguer. Juste assez pour répondre à cette inclinaison addictive qui la prenait sur ce plan, pour répondre à cette envie toujours grandissante, dévorante, de sentir l’énergie l’emplir de bien-être. Elle n’avait même pas à se battre – ils venaient à elle de leur plein gré, et personne n’avait à savoir vers quel monde elle transcendait ses serviteurs, lorsque ceux-ci, après plusieurs jours à ses côtés, avaient trop visiblement vieillis pour qu’elle prenne le risque qu’ils retournent à leurs semblables. Même s'ils vieillissaient déjà vite sans son aide - le petit serait adulte dans deux semaines quoiqu'elle fasse. Elle noyait les cadavres, les accrochaient au fond de l’eau.

Sa main se posa sur le front de l’enfant, et elle ferma les yeux, soupirant de bonheur.

Desdemone avait trouvé le paradis.
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Nahircia

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeMar 10 Déc - 22:57

L'appel d'une reine – L'herbe, c'est le mal.

Un véritable enfer.

Quelle idée elle avait eu de débarquer sur ce plan. On lui aurait déconseillé, si elle s’était montrée curieuse. Nan, mais vous avez vu toute cette terre ? Et ces fils verts et odorants, qui ondulent selon le vent. Horrible. Du vert, partout. Que c’est laid le vert. Le seul détail qui la réconciliait avec cette nature fraîchement découverte était sans doute ce bijou coloré qui pousse partout, un trait vert surplombé de fragments – rouge, rose, orange – semblables à du tissu. Elle en avait tranché une de sa lame dans le champ humide qu’elle parcourait. Elle fut surprise de la fragilité de l’objet, elle aurait pu le ramasser à la main. Les paysans ici appellent ça une fleur.

Et elle fane. Elle était si jolie, quelques heures plus tôt, la voilà décrépie. Qu’il est étrange qu’un objet change aussi rapidement. Elle n’ose pas demander à son guide la raison de cette métamorphose surnaturelle. Elle n’ose pas faire grand-chose, en fait, se sent mal. Elle est à l’arrière d’un chariot, rempli de graines et céréales. Elle n’y voit que des cailloux, du sable. Pourquoi diable les gens transportent-ils du sable ? Il y en a partout !

Enfin… Sans doute pas ici. Elle a pu observer les gens s’affairer à le lancer par pleines poignés sur la terre retournée. Il s’agit sans doute d’une sorte de culte, d’un rituel magique complexe et de grande envergure. Important, car tout le monde s’y prête avec dévotion. Elle n’a vu qu’une rivière depuis son arrivée, aussi. Un mince filet d’eau qu’ils ont traversé avec un pont. Qu’elle doit être grande, leur île. Et ils sont arrivés.

La capitaine se précipite à l’écart du chemin pour déverser le contenu de son estomac dans l’herbe plus si verte. Quelle honte. Une pirate avec le mal de mer, sur terre. Ce monde n’a aucun sens ! Le conducteur hausse la voix à son attention. Il veut savoir si elle va bien ? Mais oui, qu’elle va bien ! Qu’il s’occupe de ses affaires ! Elle se dit qu’elle n’aurait pas dû se resservir en pomme-de-terre. La population locale doit être douée en chasse pour capturer des créatures aux glandes si impressionnantes. Ils en avaient tout un sac, où elle avait été. Impressionnant. Elle aussi en chassera une.

Elle revient à la civilisation, moins pâle qu’un instant plus tôt. Elle est Nahircia, bon sang ! Un peu de tenue – si vous me permettez. Apparemment elle est à destination. C’est dans ce village que sont récoltés et centralisés le gros des céréales de la région. Elle ne sait pas ce que sont des céréales, mais la nouvelle la réjouit. Le papier parlait de négociation et transport. Ça semblait facile et ouvert, comme proposition. Mais que diable ! Qu’elle s’en fiche ! Elle n’est pas là pour ça ; elle est là pour les autres. Ceux qui auront aussi saisi l’occasion. Envoyer ses salutations à tous ses plaisantins qui, comme elle, pouvaient faire tout. Et n’importe quoi. Surtout elle.

Elle n’avait pas Asleen. C’était un problème. Non pas qu’elle ait peur de se perdre, au contraire. Mais elle manque de compagnie. Sa boussole lui manque un peu. Qu’importe. On l’amène au centre du village, on lui dit de patienter. On a bien voulu lui faire rencontrer une personne importante ; elle ne sait si c’est à l’épée ou au chemisier qu’elle doit cette faveur. Elle a les céréales – ou quelque chose du genre, ils ne savent pas articuler ici. Ou elle fait quelque chose aux céréales. Aucune idée. Mais il y a eu ce mot dans la conversation. Méduse. Il a sonné de manière claire et percutante, comme un coup de canon un lendemain de cuite. On l’a en tête toute la journée.

Donc elle attend. Peut-être qu’au coin de la prochaine rue se trouve la mer.
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Desdemone

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeLun 16 Déc - 16:58

- Dame-Méduse…

Desdemone retira la main de l’épaule de son esclave, les veines encore en feu de l’énergie qui y brûlait. Il n’y avait pas un seul univers, pas un seul, où elle pourrait ressentir ce qu’elle ressentait ici. C’était sa drogue, son addiction, c’était – un autre plan, et elle se sentait complètement désincarnée. Elle était effleurée par les ailes des anges, elle les entendait chanter, la noyer. Ses yeux se révulsaient. Elle eut du mal à se reconnecter avec la réalité, à regarder l’homme qui l’approchait en face, et à écouter ses mots.

- Dame-Méduse, il y a une femme, ici…

Elle le fixait, incapable de réfléchir, de savoir où il voulait en venir. Il y avait plein de femmes, ici ; était-ce son affaire ?

- Nous voulions savoir si vous vouliez la recevoir…

Desdemone lui jeta un air las. Ne pouvait-elle pas simplement profiter de son statut déifié ? Elle ne comprenait rien aux affaires de ce monde, à leur façon de vivre, leurs intérêts, leur cycle. Elle voulait juste rester là, dans cette fine rivière qui était l’une des rares à traverser ces terres, en contact avec l’eau, un enfant sous la main. Ne pas réfléchir. Ne pas parler. Elle n’avait pas eu l’intention de lier sa vie à celle de ces hommes, elle ne voulait pas que le fait d’avoir été posée, par hasard, comme sauveuse, remette en cause son indépendance et sa volonté qu’on la laisse tranquille. Elle était dans sa Bulle. Qu’on ne vienne pas s’amuser à l’éclater, où sa fureur serait sans bornes. Et l’homme continuait à parler, incapable de cerner son agacement.

- Elle est venue pour les céréales. Nous n’avons gardé que ce qu’il nous fallait pour vivre, le reste est à vous, entièrement à vous, c’est vous qui les avez sauvées… Que voulez-vous que nous fassions ? Nous pouvons lui dire de partir, si elle vous dérange – ou, si vous voulez la rencontrer… C’est vraiment, vraiment, comme vous voulez, Milady…

Oh, elle aimait bien cette nouvelle appellation. Il était tellement respectueux, obséquieux – c’était étrange. Elle réfléchit, un instant, le visage fixe. Ce n’étaient pas les affaires de ces hommes, alors, mais les siennes, pour lesquelles il venait. Voilà que ces céréales devenaient déjà gênantes – elle savait à quel point les possessions pouvaient être problématiques, ne s’était jamais alourdi de quoique ce soit. Voilà qu’on voulait déjà lui prendre ce qui lui avait été donné. C’était fatiguant. Elle se leva, fit signe à l’enfant de rester auprès d’elle, et hocha la tête vers l’homme.

- Amène-moi à elle.

Elle verrait bien ce qu’il en était. Le suivant lentement, une main sur l’épaule de l’enfant, elle se dirigea vers le centre du village. Elle y trouva une femme, comme prévu – qui dégageait une forte présence et un toupet sans bornes. Elle plissa les yeux – ses yeux transparents avaient énormément de mal avec la luminosité éclatante de ce plan.

- Pourquoi les courants t’ont-ils menée ici, humaine ?
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Nahircia

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeSam 18 Jan - 18:58

L'appel d'une reine – La Méduse par une pluie d'or.

Méduse.

Elle en avait vu. De nombreuses. Elles se perdaient parfois à la surface, laissant le soleil jouer dans les couleurs vives, éclatantes dont elles se paraient. Mais ça. Ça non. Une méduse humaine. Du genre avec des tentacules-cheveux, et un champignon bonnet. Incomparable expérience. Excitation soudaine. Yeux pétillants.

Il se met à pleuvoir.

Des rayons de soleil. Des fragments de lumière chaleureuse qui tombent, tombent, tombent et donnent au monde des allures de mosaïque saturée. Tout semble joyeux, vivant. Cette vision absurde balaie le voyage terne. Même le vert, loin dans le fond, resplendit comme une cascade d’émeraudes. C’est ça, elle a l’impression de se trouver au centre d’un trésor de pierres précieuses, dont le joyau principal serait l’invertébré couronnant son interlocutrice.

Parce qu’elle lui a parlé, c’est vrai.

« Laisse-moi-l’adopter. À moi. À moi. »

Sa voix tenait plus du murmure, d’un soupir de son désir brulant. La pluie s’intensifie, noyant ses yeux sous des paillettes de reflets chromatiques. Elle fait courir un frisson le long de son corps réchauffé. À mesure qu’elle prend conscience de sa passion ardente pour cette entité improbable, elle se rappelle tout ce qu’elle a vu, tout ce qui ne devrait pas la surprendre. Mais elle ne contrôle pas cette attirance soudaine, cette envie impérieuse de faire sienne ce souvenir de la mer – survivant en son absence total. Elle n’est pas déçue de ne pas trouver le large ; elle a trouvé mieux.

« Je… »

Que peut-elle faire ? Elle n’avait pas prévu ça. Avait-elle seulement prévu quoique ce soit ? Elle devait venir chercher les céréales, pour rencontrer ou ennuyer quelque égal à son statut d’Arpenteur. Ohh. Voilà ! Cette méduse est un Arpenteur ! Au diable les céréales. Au diable ce monde. Elle se contenterait de partir avec cette nouvelle couronne, devenir la reine des pirates coiffée du plus beau des trophées.

Mais… Mais. Non. Quelque chose n’allait pas. Elle ne pouvait pas simplement demander et partir comme ça. Peut-être que si. Non. Pourquoi ? Pourquoi. Ohh. Sacrebleu. Elle est la reine des pirates ou bien ?

La pluie redouble. Encore. Encore.

Une dernière onde luminescente. Un flash doré.

Nahircia, sabre au clair, sourire aux lèvres.

« Mes enfants, ceci est un abordage. À compter de maintenant, je revendique la Méduse. Et les céréales. Et vous, ce village sera mon nouveau trois-mâts. »

On aurait presque pu entendre les clameurs et les canons remontant de son lointain passé.
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Desdemone

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeMar 21 Jan - 18:10

Desdemone plissa les yeux. La luminosité était décidément trop forte sur ce plan – elle pleuvait de partout, et sa cornée brûlait. Une tentacule prit vie, se plaça au-dessus de ses yeux, comme pour lui faire de l’ombre, comme pour la protéger. Si elle ne pouvait pas bien voir son interlocutrice, ou la regarder, ce qui réveillait en elle une peur que seule la distance entre eux tenait en échec, elle l’entendait bien – et le murmure l’atteignit, doucereux. L’adopter ? Qui donc ?

Desdemone ferme les yeux. Même au travers de ses paupières, la lumière lui faisait mal à la tête. Elle gémit. Le bleu était inexistant, ici – elle n’était pas certaine que les tentacules la protégeraient.

La réplique de la pirate fusa comme un coup de canon. Détonante. Puis fut suivie d’un silence assourdissant.

Elle sentit, en l’espace de deux secondes, une pression monstre lui tomber sur les épaules. Les habitants de Solduinn n’étaient pas des guerriers ; ils se cachaient dans leur maison au moindre problème. Surtout, ils avaient rarement de problèmes. Tout était excessivement paisible, ici. Elle savait que, si elle ne faisait rien, ils allaient bientôt se mettre à courir en hurlant, effrayés, les uns pour se cacher, les autres pour chercher les céréales. Elle savait aussi que le semblant de paix du moment n’étaient dû qu’à sa présence – ils attendaient le mot de leur déesse. Statut de déesse que cette femme était en train de remettre en question, au passage. C’était risible.

Mais là n’était pas le problème.

Desdemone n’avait pas l’étoffe d’un chef et ne l’avait jamais eue. Elle n’avait jamais donné d’ordre à personne, elle n’avait jamais fait partie d’un groupe pendant plus de deux jours. Elle n’avait rien eu à faire pour être vénérée des habitants du village ; et elle n’avait pas cherché à l’être. Elle était incapable, à présent, de remplir le rôle qu’ils lui demandaient de remplir. Un abordage ! Elle avait des fourmis dans les jambes, la peau de ses palmes qui s’étiraient, les muscles qui se tendaient instinctivement. Fuite. Fuite. Fuite. Fuir ce désir ardent, fuir ce prédateur qui la regardait avec tant de convoitise. Elle serait bien partie, là, maintenant. Abandonner tout le monde sans une pensée. Retrouver la rivière, et plonger.

Trois choses l’en empêchèrent.

La première, son assertion rapide de la situation. Elle savait identifier les dangers – la rivière était trop loin à son goût, elle était aveuglée, elle ne connaissait pas la force de celle qui lui faisait face, mais elle savait, en tout cas, que l’humaine avait l’air extrêmement, extrêmement sûre d’elle-même. Contrairement à elle.

La deuxième, c’était l’adrénaline qui courait encore dans ses veines – elle se sentait tellement revigorée grâce aux villageois. En paix. Droguée. Anesthésiée. Elle se sentait plus calme, plus lucide qu’elle l’aurait été habituellement, ou plutôt, moins effrayée, plus amorphe, à la fois plus réveillée et plus endormie, de manière paradoxale. Plus détendue. Moins stressée. Plus apte à rester.

La troisième, c’était la voix de l’humaine. « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. » « Je revendique la Méduse. »

Les phrases s’entrechoquaient en boucle. Les souvenirs aussi. Elle qui tirait sur la méduse. Elle qui attaquait la méduse à coups de pierres, à coups de lames. A chaque blessure c’est elle-même qu’elle blessait – la Méduse suçait sa vie, guérissait ses blessures, et elle restait des jours entiers, presque morte, allongée dans l’eau. Elle n’avait pas su se débarrasser de la Méduse, uniquement faire en sorte que la relation ne soit plus en sens unique, qu’elle soit en symbiose. Vivre seule – libre de ce parasite – était un rêve auquel elle en croyait plus depuis longtemps. Comment cette femme pouvait-elle vouloir cette chose ?

- Les céréales sont dans la dernière ferme avant la rivière.

Elle s’approcha, fluide, comme une vague. Elle voulait la Méduse. Elle voulait la Méduse. Saurait-elle réussir là où elle avait tant de fois échouée ?

- J’ai passé trois ans à essayer de me débarrasser de ce.. truc. Tu le veux ? Si tu arrives à le prendre, il est à toi.
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Nahircia

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeMar 21 Jan - 20:24

L'appel d'une reine – Qu'on lui tranche la tête !

Ce plan la dégoute. Le calme. Silence religieux. Elle aurait aimé un peu plus de panique et de vigueur, de crainte et de rage. Ils restent là, moutons dans les rets de la femme méduse. Ils n’ont pas besoin de le dire, leurs visages consternant montrent leur dévotion. Un rictus de mépris. Qu’elle haït ces chaînes invisibles. Qu’elle haït ces incapables qui ne peuvent se dresser devant elle. Mais la Méduse résistera, n’est-ce pas ? N’est-ce p-…

… Dans la dernière ferme.

Si tu arrives à le prendre… À toi.


Quoi ?
Quoi ?!

Les yeux écarquillés, ses veines palpitent le long de ses joues brulantes. Elle contient avec peine son émotion, ne voulant se laisser à une fureur vaine. Le monde est terne, ici. Vert et fade. Vide de tout combustible pour aviver sa flamme. Si ce n’est ce joyau. Saphir azuré qui bat comme un cœur au sommet de leur dévouée reine de passivité. Il a perdu de son éclat lorsque le reste du trésor a disparu – la bataille pour sa capture.

Elle contourne l’ondine, sabre toujours pointé vers sa gorge. Elle se tient dans son dos, s’approche, lame toujours prête. Et elle sent le problème. Non pas qu’elle le comprenne. Non pas qu’elle puisse l’expliquer. Mais elle le ressent, en elle. Elle perçoit ce lien inextricable attachant l’ondine à sa masse gélatineuse. Bleues. Chaînes bleues. Foutues chaînes. Elle approche la pointe de son épée  de la nuque écailleuse. De l’eau. Pour la contraindre. Pour l’en empêcher. Elle ne peut défaire ça. Peut-elle ? Nahircia, maîtresse du chaos, de l’impossible. Maîtresse de sa propre réalité.

Sa lame vient au niveau de son épaule gauche. Un geste clair et précis. Parce qu’elle peut briser ce lien. De la manière la plus simple qui soit. Les séparer. Trancher. Maintenant.

« Non ! »

L’eau gicle au visage de la pirate. Elle a tranché plus d’un tentacule, mais sa lame est restée figée dans le liquide dense. Bloquée par une autre volonté. Une voix plus fragile. Un quart de tour à sa droite, un gamin. Ou une gamine. Elle n’y voit qu’un adulte pas développé – un maudit, chez elle. Il est trois pas devant la foule. Il a tiré sa chaîne, de trois pas. Dans ses yeux, elle voit encore la pluie de lumière vive.

« Ne… Ne touchez pas à notre déesse ! Prenez-moi, sacrifiez-moi, laissez-là. Je vous en prie. »

Devenue l’antéchrist de ce culte dont elle ignore tout. La cinglée à demi-nue qui allait rompre l’enchantement de servitude. Ils y tenaient donc tant ? Mépris. Mépris. Sauf pour celle-ci, à la voix tremblante, pour ses trois pas décisifs. Pour son avis idiot, mais énoncé, aussi fortement qu’elle le pouvait. Pour la plus faible qui se dressait quand tous s’écartaient. Nahircia s’écarte de la Méduse. Garde son sabre tendu.

Et tranche.

Ce sera son seul honneur à cet acte effronté. Digne de tout son respect. Elle exécute son souhait exprimé. Sacrifice. Sa tête roule au sol, son corps chute. Et l’Arpenteuse imprime cette scène dans la mémoire de tous. Parce qu’elle le peut. Transmettre le pouvoir de sa volonté à travers l’esprit de chacun, faire de cette insolente le symbole de leur liberté, leur individualité. Que son existence perdure. Souvenir Immortel.

« Tu m’appartiens toujours, Méduse. Mais ton tour attendra. On va aux céréales. Déesse. »

Elle se contente de garder son épée tirée, de suivre. Reine fatiguée.
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Desdemone

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MessageSujet: Re: L'appel d'une reine [Nah']   L'appel d'une reine [Nah'] Icon_minitimeMer 22 Jan - 22:20

Le sabre glissait vers elle, pour trancher, trancher ce cordon ombilical insupportable, pour séparer la méduse de l’ondine – elle comprit, trop tard, que la pirate la tuerait pour son chapeau, et pourtant elle n’avait pas peur, aucune peur, quand l’arme s’abattit sur elle. D’abord parce que depuis qu’elle était devenue Arpenteuse, il lui semblait qu’elle était invincible, que personne ne pourrait se mettre au travers de sa route, que si elle avait survécu à la Méduse et à son monde pendant si longtemps personne, personne ne pourrait jamais venir à bout de sa force de survie. Et puis il y a aussi sa confiance absolue dans la capacité de survie de la bestiole qui s’est accrochée à elle. Quelque part, elles se sont bien trouvées. Elles savaient qu’elles pouvaient survivre, ensemble. Elle ne doutait pas, pas un instant, que la méduse les protégerait, puisqu’elle ne pouvait vivre sans l’ondine, et que la pirate n’avait aucune, mais alors aucune chance de pouvoir les séparer. Si elle y arrivait, tant mieux – elle lui laisserait volontiers la méduse et vivrait enfin en complète autarcie. Mais peu importait, puisqu’elle n’y arriverait pas. Et les tentacules, en effet, créèrent immédiatement leur bouclier protecteur.

Elle n’eut malheureusement pas la possibilité d’observer combien de temps le désir ardent de la pirate pourrait faire face à la capacité surhumaine de survie du parasite. La petite voix s’éleva, tremblante et sûre à la fois, puis s’éteignit, d’un coup, comme une étoile.

Desdemone fixa le regard de l’enfant mort.

Quel gâchis.

Elle cherchait en vain une réponse dans ces yeux – ils étaient bleus, liquides. Pourquoi ? Pourquoi avoir agi ainsi ? C’était stupide ; elle était morte pour rien. Par sacrifice, par héroïsme. Pour elle, en fait. Pour la sauver, pour la protéger. L’ondine n’aurait jamais bougé le petit doigt pour ce corps chétif – et c’étaient les mêmes élans de passion dégoûtante que ceux qui avaient animés sa mère qui avaient secoué de spasmes son corps lorsque la tête avait roulé. Elle s’en approcha, se baissa pour la prendre entre ses mains ; caressa les joues, puis les cheveux, les lissant encore et encore. Puis elle la garda entre ses palmes, ou entre ses paumes, et s’approcha du corps. Malgré l’idiotie du geste, qui n’avait et n’aurait en aucun cas pu changer quoique ce soit, elle se sentait touchée, quand même, quelque part. La gamine n’aurait rien pu pour elle, aurait dû se taire et rester en arrière, mais il restait qu’elle avait eu l’intention de la sauver. Une intention incompréhensible – mais réelle. C’était étrange, tellement, tellement, tellement étrange.

Les parents étouffaient un sanglot – en tout cas, le père. La mère semblait paralysée, comme morte avec son enfant. Le regard tout aussi vide. Tout aussi bleu, tout aussi liquide. Desdemone ramassa maladroitement le corps, difficilement même. Elle n’avait pas l’habitude du contact avec qui que ce soit, si ce n’était pour les aspirer, et porter un enfant était l’une des dernières choses auxquelles elle se serait attendue. La forme épousait étrangement celle de son propre corps. C’était lourd. Et peu pratique à tenir. Ça lui retenait les mains, ça la ralentissait, ça la rendait vulnérable, et elle était mal à l’aise. Elle resta pourtant debout, là, et laissa son regard glisser sur son peuple, sans réussir, à la lumière, à les voir autrement que comme une masse de corps, ou même, comme un étrange banc de poisson respirant hors de l’eau.

- Rentrez chez vous.

Elle s’éloigna avec le cadavre dans les bras, la pirate à ses côtés. Derrière elle, un murmure, qui s’éteignit alors qu’on lui obéissait. Tous avaient été marqués par la mort de l’enfant. Et aucun ne l’oublierait jamais. Personne n’oublierait, non plus, que c’était pour protéger leur déesse qu’elle était morte, et que sa volonté était à respecter, à saluer, à honorer au fil des mois. Une nouvelle figure était apparue dans leur imaginaire, dans cette religion qui se profilait étrangement dans le village, et personne ne questionna que leur déesse emporte le corps de l’héroïne. Ce n’était que logique qu’elle soit honorée par la déesse.

Reine de cœur.

Une fois hors de vue des autres, elle commença à aspirer l’énergie de l’enfant lyre.

Quel gâchis.

Elle était si jeune – elle aurait si longtemps pu continuer à la servir. Desdemone aspirait ce qui lui restait d’énergie avant qu’elle ne soit si froide et perdue à jamais. Sa peau se fripa, tant et si bien qu’elle devint méconnaissable, et Desdemone la lâcha dans la rivière. La pirate la surveillait toujours. Desdemone se tourna vers elle.

- C’est par là.

Elles « allèrent aux céréales », comme l’avait voulu la pirate.

- Tu veux les revendre aux Marchands, c’est ça ?

Desdemone entra dans la grange, attrapa la ficelle qui retenait le sac en toile dans lequel étaient les céréales, puis une deuxième, troisième, quatrième. Il y en avait tellement – elle les ficela ensemble, les uns après les autres, puis attrapa le nœud, et leva les yeux vers l’humaine.

- Nous t’appartenons. Mais notre tour attendra.

Sourire étrange sur les lèvres de l’ondine ; la notion d’appartenance lui semblait si étrange. C’est pesant, l’appartenance ; les possessions sont toujours lourdes, elles empêchent la fuite fluide, elles retiennent aussi, forment des attaches. Qui voudrait avoir quoique ce soit ? Elle ne voulait rien, elle voulait pouvoir toujours partir et tout laisser derrière elle. Et appartenir ? Appartenir c’était  féodal; appartenir c’était se lier aussi, c’était dépendre, c’était ne plus exister. Desdemone ferma les yeux. Ne plus exister – en tout cas sur Solduinn, en tout cas proche de cette femme imprévisible dont les caprices valaient ceux des tempêtes et de la mer.

L’Entre-Monde dansa derrière ses paupières.
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