Les tours de bois

Ici, il n'avait aucune restrictions. Au détour d'un voyage entre mondes, l'arpenteur avait trouvé cet endroit tranquille où il saurait se détendre. Par dessus sa silhouette s'étendaient les squelettes d'une forêt d'arbre arrivée à sa décrépitude, chaque membre de feue cette armée verte atteignait au moins le cent mètres. L'homme était définitivement petit par rapport à la nature. Après quelques jours à sillonner les pistes vallonnées et les sols couverts d'humus et de feuilles sèches, il rencontra le peuple des Asura, un conglomérat de petits groupes éparpillés au travers de la jungle et qui vivaient en harmonie avec celle-ci. Malgré le grand nombre que le premier village lui rapporta, il n'eut croisé après deux semaines que ceux-là, limitant au maximum ses interactions entre humains. Au fond, la solitude, ça lui plaisait.

Beaucoup de mots, beaucoup d'explications et pourtant peu de réponses. Tangibles, de réponses tangibles.
Elle est partie ainsi de l'Entre-Monde, il y a de cela cinq jours . Elle a réussi à faire un pas sur le côté, ça elle a compris comment faire, et est arrivée dans un monde vert. Elle n'a pas fait exprès, mais elle a pensé à sa jungle qui lui manque tellement.
Première chose accomplie : l'hydratation. La sécheresse de l'Entre-Monde a failli la tuer. Puis elle s'est soignée, en utilisant les techniques enseignées par l'Hermite. La voilà maintenant avec le bras droit faible mais utilisable. Les coupures, entailles et écorchures sont quant à elles cicatrisées, ou presque.
Surtout du repos, un repos bien mérité roulée en boule dans les feuille tendres et humides. La nuit, elle se transforme en puma, chasse, goûte la vie.
Puis aujourd'hui, elle sent quelque chose. Pire, la forêt s'amincit, plus que des arbres, si peu de buissons et autres cachettes feuillues. Alors que l'odeur s'approche..
Sa lance nouvellement confectionnée fixée dans le dos et le poignard de l'Hermite glissé dans son pagne : elle s'approche aussi silencieuse que la mort. Les cachettes s'amenuisant, elle grimpe dans un arbre et se déplace en hauteur.
Puis elle le voit. Un mort. Un mort qui marche sous le soleil.
Elle ne sait pas quoi faire, comment se comporter avec un mort qui marche ? C'est la première fois qu'elle en voit un. Il a l'air paisible, comme un mort.
Elle tente quelque chose : elle casse une petite branche de l'arbre dans lequel elle se trouve et la lance près du mort.

Elle sursaute. Le mort marche et parle.

"Tu es mort."

Simple constation, suffisante pour justifier sa distance.

Elle hésite, le toise, le jauge... Puis descend de l'arbre, légère et puissante.

"Un vampire... Tu bois du sang ?" demande-t-elle, curieuse de confirmer ce que les sages ont dit dans l'Entre-Monde.

Elle s'approche d'un pas, un seul.
L'examine de haut en bas, dévorée par la curiosité.
Il se retourne : elle se redresse légèrement et plonge ses yeux dans les siens, aucun signe de son examen visuel.
Elle hausse un sourcil, puis l'autre.

"Ce n'est pas mauvais. Mes parents m'ont toujours appris à ne pas gaspiller la nourriture, moi aussi je mange mes proies." dit-elle totalement innocente et si sauvagement candide.

Puis elle saisit la dernière phrase du mort-qui-marche et elle recule d'un pas, revenant sur ses pas et se tassant légèrement, prête à bondir pour attaquer ou pour fuir. Un homme déjà mort ne pouvait sûrement pas mourir une deuxième fois, n'est-ce pas ?