Dissimulée dans les buissons à feuilles grasses, les yeux fermés et les oreilles tendues ; elle écoute, elle guette. Les drogans se sont envolés précipitamment il y a quelques heures. Elle sait ce que cela signifie. Elle a pris sa lance et son poignard, ce dernier glissé dans la ceinture que lui a confectionné l'Hermite.
Une demi heure qu'elle attend dans ce buisson, ils sont proches, elle le sent, et surtout elle les entend. Si bruyants... Et ça s'appelle des chasseurs ! Un troupeaux de rontors en rûte plutôt. Un petit groupe d'homme apparaît enfin, à cent mètre environ, des fusils et autres armes à la main. Ils ont l'air à l'affût mais ils ne voient rien, n'entendent rien, ne sentent rien. Même pas leur mort. Surtout maintenant qu'elle a reconnu leur odeur : ce sont eux qui ont abattu deux pumas quelques mois plus tôt. Vengeance sera faite.
Mis à part l'Hermite, tous les Hommes qu'elle a croisé depuis sa naissance sont mauvais, et son ami le lui a confirmé, c'est pour cela qu'il s'est retiré dans la jungle.
Les voilà à son niveau, un pied botté passe devant ses yeux et elle tranche sans pitié à coup de poignard.
Un hurlement. La panique.
Elle profite de cette occasion et achève le premier avec sa lance, la lame traversant son crâne. Elle lâche son arme, roule sur le côté avant que les autres reprennent leurs esprits et tirent.
Ils tirent, le premier s'effondre.
Maintenant les choses sérieuses commencent, il en reste trois. Elle bondit hors de sa cachette, son poignard à la main, sa position accroupie surprend les chasseurs qui visaient plus haut. Elle vise les parties reproductrices du second, les découpe, il s'effondre : elle l'achève en lui plantant sa lame dans l’œil jusqu'au cerveau. Une autre roulade l'envoie dans un autre buisson, elle s'élance silencieusement, faisant à peine bouger les feuilles. Les deux derniers tirent au hasard, paniqués. Ils sont venus pour du puma et les voilà face à une sauvage, armée en plus. Mais les autres arrivent, ils vont baiser cette salope et la tuer comme elle a tué Lindrel et Rotang.
Elle s'est éloignée, elle ne peut plus les avoir par surprise désormais et ils sont bien trop armés pour qu'elle lance un nouvel assaut. Elle doit d'abord tenter de récupérer sa lance sur le premier cadavre. Elle ignore qu'un second groupe a pénétré dans la jungle, groupe composé d'un Gobelin, d'un Nezumi et d'un Orochi. Espèces qu'elle n'a jamais croisé et dont elle ne connait l'odeur. Mais il y a une odeur qu'elle reconnaîtrait entre mille, une odeur qu'elle chérit, une odeur qui la rassure, une odeur qui la fait sentir chez elle et protégée..
L'odeur de ses parents. Il y a pourtant quelque chose d'étrange dans leur odeur, comme quelque chose de fini, de parti.
Alors qu'elle léchait ses plaies une transe étrange la saisit. Un état de choc, une voix lui murmure des atrocités : elle la suit. La suit sans savoir où elle va, sans même avoir réellement conscience qu'elle va quelque part.
La voix se tait, elle cligne des yeux et se fige.
Les chasseurs la fixent, ses parents gisent.
Les coups de feu la réveillent, la douleur aussi. Ils n'ont pas pris le temps de viser, trop surpris, c'est ce qui l'a sauvé. Elle s'élance dans la direction opposée, toujours sous le choc, le corps en pilotage automatique, le bras droit s'agitant mollement le long de son corps.
Elle stop net, les deux rescapés de son massacre lui font face ; ils ont rejoint leurs compagnons suite au bruit des fusils.
Elle sort son poignard mais dans sa main gauche il ne lui sert pas à grand chose et elle se fait vite désarmer par l'Orochi.
Les deux rescapés s'approchent, l'un va raconter l'attaque et l'autre la rejoint, un sourire de jubilation sur le visage : il va lui faire payer.
Elle ne bouge pas, les fesses à terre, les yeux au sol, la respiration lente, voire inexistante : totalement prostrée. Elle tente de se souvenir, se souvenir de ce qu'il y avait aux pieds des créatures.. Deux corps.. Morts.. Éviscérés.. Du pelage doré.. Des oreilles rondes.. De longues queues.. Des yeux à jamais fermés..
Ses parents sont morts. Elle se souvient maintenant. Le voile de peur et de chagrin se déchire, inondant son esprit d'une lumière sanglante.
Elle se souvient. Ils sont morts. Morts. Morts.. Morts...
Cette mélodie l'emplie toute entière, elle lève la tête, l'homme a les mains posées sur ses seins.
Morts.
Elle hurle, elle se déchire les poumons et la gorge. Elle hurle sa haine, sa douleur et son chagrin.
Un rugissement lui répond, le siens.
Elle bondit sur l'homme qui a déjà reculé et la met en joue. Trop lent. Sa gorge se déchire sous ses crocs, le sang coule dans sa gorge.
Morts.
Des balles sifflent autour d'elle, elle bondit une nouvelle fois. Le deuxième humain s'effondre dans un gargouillis d'agonie.
Morts.
Ses griffes déchiquettent, sa gueule broie, elle voit et sent le monde dans sa totalité, presque aveuglée par tant de réalité.
L'Orochi brandit ses lames mais sa gorge est déjà béante, le sang émeraude s'écoulant à flot.
Morts.
Le Gobelin la touche d'une hache de jet mais son pelage amoindrit la plaie. Entre temps l'humanoïde se retrouve gisant dans une mare de sang.
Morts.
Il reste le Nezumi. Déjà loin, fuyant le danger comme le rat qu'il est. Elle pousse un puissant rugissement, d'autres lui répondent. Le rat a presque disparu quand trois pumas jaillissent de la jungle et l'éventrent sauvagement.
Morts.
Lentement - si lentement - elle s'approche des deux pumas massacrés. Elle gémit, s'allonge auprès d'eux et s'endort tout simplement, réalisant à moitié pour sa métamorphose. Mais ça n'a pas d'importance, elle veut seulement dormir et oublier.