[Plan inconnu] Dans l'oeil de la tempête, même vos tours d'ivoire ne vous protègeront pas.

Ce qui l'impressionnait le plus, c'était le silence qui régnait en ces lieux. Seul, face à la tour en ruine, construction ancestrale sise au cœur de cette vallée comme une tentative dérisoire de percer des cieux perpétuellement orageux.

Orageux en apparence uniquement. Pas de tonnerre pour venir briser le calme des lieux. Des éclairs zébraient les cieux de temps à autre, mais c'était toujours dans un silence impossible, une absence de son qui tenait de l'aberration.

« Voilà bien un havre à l'allure inquiétante. »

Au moins sa voix était-elle audible, elle. Cependant, il avait raison, un danger planait ici, il le ressentait comme un tiraillement au plus profond de ses chairs cent fois remodelées.
Il n'y avait pourtant pas de prédateur, vivant ou non. Ce devait être quelque chose de plus subtil, insidieux. Quelque chose qu'un homme ordinaire aurait pu craindre, mais pas lui. Mené par les forces combinées de son ego et de sa sorcellerie, en parfaite harmonie avec l'essence de ce plan, il se pensait au-delà de la peur. Son esprit aux allures de mécanique bien huilée avait pour habitude de disséquer patiemment ses émotions comme lui disséquait les êtres vivants.

Les êtres vivants. Parlons-en. Il n'y en avait à priori aucun à proximité. Bien qu'il ait choisi ce plan pour se reposer et méditer, l'absence de matière première le décevait quelque peu.
Lorsqu'il aurait terminé de reprendre des forces, il se lancerait peut-être dans l'exploration de ce nouveau plan. Toute chose était riche d'enseignements, après tout.

Respirant à plein poumons un air lourd, il se concentra pour chasser les restes de colère qui l'avaient animés lorsqu'il avait quitté Elage. Il se devait d'avoir l'esprit clair pour explorer cette terre inconnue et tirer profit des enseignements acquis aujourd'hui.

Dans un silence relatif, uniquement brisé par le bruit de ses pas sur le sol caillouteux, il pénétra dans la tour...

Le sol dallé résonnait à chacun de ses pas, échos dans le silence de mort qui baignait les environs. Mael était songeur, plus concentré sur ses réflexions d'ordre anatomico-mystique que sur le contenu de la tour.

Mais qui aurait pu lui en vouloir ? La pièce dans laquelle il se trouvait n'était remplie que de débris sans intérêt. Des fragments de métal rouillé et de bois pourris, seuls vestiges du mobilier, étaient présents ça et là. Ainsi que des tapisseries en lambeaux et quelques ouvrages si abimés par l'humidité et la vermine qu'en lire le titre était devenu impossible.
Seul le rez-de-chaussée était encore accessible, l'escalier menant aux étages supérieurs s'étant effondré depuis bien longtemps.

L'Arpenteur, quant à lui, avançait sans but, l'esprit peuplé de rêves éburnéens. Ses projets futurs concernaient un plan sur lequel il s'était renseigné auparavant. Un lieu où la guerre perpétuelle mettrait ses créations à l'épreuve et lui permettrait de développer ses talents.

Troublé par une sensation familière, il s'interrompit immédiatement. Comme le confirmèrent de légers bruits à l'extérieur, il n'était plus seul dans sa retraite.

Pestant intérieurement sur le fait qu'on ne puisse être tranquille nulle part, il se dirigea vers le coin le plus sombre de la pièce et s'y dissimula du mieux qu'il put. Si l'importun s’avérait dangereux, tout avantage serait bon à prendre.

Mael éclata soudainement de rire. Le ridicule de la situation était absolument énorme et il s'en était rendu compte en croisant le regard de la nouvelle venue : se cacher d'une aveugle était l'idée la plus stupide qu'il ait jamais eue. Bien qu'il faille lui accorder une chose, il ne pouvait agir en tenant compte d'informations qu'il ignorait.

Se reprenant, l'Arpenteur fit un pas en avant. Nul besoin de rester dans l'ombre et il ne tenait pas à être couvert de toiles d'araignées et autres choses répugnante qui traînaient. C'était une question d'amour propre.

« C'était un choix imprudent que de me suivre. Surtout sans savoir ce qui vous attendrait. »

Il se prit à esquisser un mince sourire, mais celui-ci s'effaça rapidement, ce n'était qu'un pur réflexe des conversations avec des êtres capables d’apprécier les expressions faciales. Bien ironiquement, il poursuivit :

« Mais je suis de bonne humeur, profitez donc du confort et acceptez mes excuses, il semblerait que les domestiques se soient absentés. Certainement pour aller chercher du thé et des petits gâteaux ... »

Il se retint de préciser que ceux-ci avaient quitté les lieux un siècle ou deux plus tôt, cela semblait évident. Mettant l'humour douteux de côté, il daigna enfin s'intéresser au sujet qui avait amenée sa visiteuse ici, tout en se trouvant un coin plus confortable en la présence d'un rebord de fenêtre.

« Bien, si vous me parliez de ces choses qui vous ont intriguées ? »

Après tout, il n'avait pas mieux à faire pour l'instant et la conversation était une activité suffisamment reposante pour qu'il puisse continuer à se ressourcer.

L'Arpenteur médita quelques secondes sur les dernières paroles de son interlocutrice. Il voyait de quoi elle parlait, même s'il n'aurait pas usé de ce genre de terme. Lui voyait cela comme un silence glacial qui apaisait l'âme et les hurlements de ses ennemis vivant des souffrances abominables. Une forme de pureté sombre, mais capable de s'adapter, d'évoluer et d'avancer.

« C'est une noirceur qui fait partie de l'équilibre universel. Elle semblait déplacée sur cet autre plan car il est dépourvu de l'équilibre qui devrait être le sien et court vers sa destruction. Enfin, c'est mon point de vue sur la question. »

Il haussa machinalement les épaules et décida d'appeler un chat un chat, au cas où son interlocutrice n'aurait pas saisi le fond de sa pensée. Tout le monde n'avait pas passé ses premiers instants de son éveil à arpenter les rayonnages de la bibliothèque plutôt que les plans voisins, après tout.

« En langage d'Arpenteur, on l'appelle le Mana Noir. Et il y a de forte chance que j'aie été à l'origine de sa présence sur Elage. »

Il n'avait aucune raison de s'en cacher et n'en éprouvait aucune honte. Sauf peut-être concernant le résultat de cette dépense d'énergie, même si les enseignements acquis valaient à eux seuls qu'il se soit donné cette peine. Écartant ces réflexions pour l'instant, il poursuivit.

« En langage classique, on me nomme Mael, au cas où cela vous intéresserait. »

Trop tôt encore pour avoir une réputation, mais trop tard pour ne pas se présenter. Aucune raison de cacher son nom, il savait ne rien avoir à craindre de ce côté. Tout affable qu'il prétendait être, il n'en restait pas moins paranoïaque à l'extrême.